Voilà plus de 3 ½ ans que l’ambitieuse expérimentation alternative Projet Bâtiment 7 est en opération. Animé principalement autour de principes libertaires tel l’autogestion et la recherche de l’autonomie, le Projet B7 a connu et connaît toujours plus de bas que de hauts.
Nous relayons ici un article paru récemment dans le dernier numéro de le revue Possibles intitulé « Hors-système, communautés autonomes, expériences de la liberté.
L’éveil d’une nouvelle résistance locale au capitalisme
Il serait difficile de comprendre les origines du Projet Bâtiment 7 sans parler brièvement du terreau social et politique qui a mené à une telle audace, arracher gratuitement des mains d’un des cinq plus gros propriétaire immobilier privé au Québec, le Groupe Mach, un vaste bâtiment industriel voué à la démolition. Dans le contexte, on peut parler d’exploit. Dans ce texte, j’accepte ma part de responsabilités comme acteur dans le Projet Bâtiment 7.
La naissance du Projet Bâtiment 7 s’inscrit directement dans l’histoire du mouvement social de Pointe-Saint-Charles, tenace depuis la fin des années 1960. La mise sur pied de la Clinique communautaire (santé), des Services juridiques communautaires (défense des droits), du Carrefour d’éducation populaire (éducation permanente aux adultes) et quelques années plus tard, le Regroupement information logement (habitation) pour n’en citer que quelques-uns. Deux caractéristiques majeures imprègnent le mouvement dès le début: la volonté d’assumer le contrôle direct de ses « institutions » par des citoyens et citoyennes engagés, doublé d’un positionnement particulièrement critique, parfois anticapitaliste, face aux pouvoirs politique et économique qui marquait l’air du temps.
Quelque trente-cinq ans plus tard, déjà connecté par des liens militants avec le mouvement social local, le Projet Bâtiment 7 prend sa source en 2004, à la suite de la fermeture définitive des immenses Ateliers ferroviaires du Canadien National (CN), l’équivalent en superficie du tiers de Pointe-Saint-Charles. La Coalition des groupes communautaires Action-Gardien (né en 1981) y organise alors une première manifestation symbolique (une centaine de personnes) en allant planter un drapeau sur les terrains, après en avoir enlevé les chaînes qui barraient l’entrée. Sur la base d’un refus de se faire imposer un redéveloppement au seul avantage des promoteurs immobiliers Action Gardien réclame de la Ville l’expropriation des terrains. Peu de temps après, c’est la formidable bataille populaire contre l’implantation du casino en 2005-2006. L’impressionnante victoire a eu des effets qui allaient favoriser la récupération de ce bâtiment no 7, un des 20 bâtiments du site des anciens Ateliers du CN.
Évolution des perspectives
Un autre effet provient de l’effervescence du mouvement altermondialiste au tournant des années 2000. Des militantEs du quartier Pointe-Saint-Charles y seront actifs (notamment dans SalAMI), ce qui ouvrira la porte au renouveau d’une conscience anticapitaliste. Les préoccupations liées à l’avenir incertain de la planète y sont omniprésentes. La composition de cette petite mouvance d’une quinzaine de militant.e.s oscille entre une diversité libertaire et autres courants sociaux de gauche radicale qui a su cohabiter ensemble, malgré certaines difficultés. C’est le retour d’une critique plus mordante à l’égard des pouvoirs dominants qui va s’intégrer dans le Projet B7.
La jonction d’un réseau libertaire local avec le mouvement social.
En 2004, La Pointe Libertaire est fondée, alors que déjà quelques militantEs du collectif La Rue Brique sont actifs depuis 2002. Le Centre social autogéré (CSA) sera mis sur pied en juin 2007. L’essentiel du réseau libertaire « organisé » au niveau local oscille, selon les événements, entre 10 et 30 personnes. Une première convergence entre militantEs communautaires et miltantEs libertaires va s’établir autour des enjeux des anciens Ateliers du CN, non sans certaines tensions, mais avec la volonté sans équivoque d’agir ensemble. Pour bien saisir le contexte, revenons à la courte liste des événements les plus significatifs qui mèneront à la revendication commune d’obtenir un bâtiment gratuit pour la communauté.
Rappelons qu’au printemps 2004 une première manifestation a lieu sur les terrains du CN. L’année suivante, l’intense lutte contre le casino se termine avec une victoire (2005-2006), puis il y a l’Opération populaire d’aménagement (OPA) mené par le mouvement communautaire local fin 2007, les consultations publiques de la Ville début 2009, le tout autour de la vision de réaménagement des terrains du CN. Puis se produit le coup de tonnerre du 22 février, celui de la démolition sauvage (sans avertissement et sans permis) d’une partie du bâtiment no 7 par le Groupe Mach. Cette « provocation », intentionnelle ou non, débouchera sur la mise sur pied du collectif 7 À NOUS moins de 2 semaines plus tard, en mars 2009. Lors de sa première rencontre, l’objectif, le seul sur la table : sauver le bâtiment no 7 de la démolition en l’obtenant gratuitement.
L’émotion est encore forte, ce qui aide à valider la revendication libertaire. Bref, toute cette histoire est racontée largement dans un livre paru aux Éditions Écosociété en 2013, « Bâtiment 7, victoire populaire à Pointe-Saint-Charles ». L’unanimité obtenue sur une seule revendication est devenue un moment fusionnel commun, transcendant les divers courants idéologiques de cette coalition. Bref, c’est autour de cet objectif que le nouveau collectif 7 À NOUS bâtit sa stratégie. Quant aux moyens utilisés, la négociation fut constante entre ceux/celles qui préféraient soit la négociation, les pressions politiques ou qui favorisaient l’action directe.
Ainsi, cette intense période de mars 2009 jusqu’au 22 octobre 2012, date de décision du conseil de Ville d’octroyer le bâtiment 7 au Collectif 7 À NOUS, a été ponctuée de dizaines de présences et d’actions du 7 À NOUS au conseil d’arrondissement du Sud-Ouest, à l’Hôtel de Ville, de nombreuses manifestations et occupations temporaires sur les terrains du Groupe Mach en face du bâtiment 7, d’assemblées de mobilisation regroupant parfois 250 personnes, d’affichage à la grandeur du quartier, bref, la pression sur les autorités politiques locales et sur le Groupe Mach a été exceptionnelle, c’est-à-dire intensive et à la hauteur de l’enjeu. Sur la photo, fête populaire au Bâtiment 7, juin 2019 Malgré des divergences connues au niveau des idées, cette solidarité exemplaire maintenue sur quelques années entrouvre une fenêtre sur de possibles cohabitations ultérieures entre groupes et personnes militantes de courants politiques divers. Il est donc possible de miser sur les convergences, qu’il faut faire l’effort de chercher constamment, afin de détecter des objectifs communs lorsque les écarts d’intérêt ne sont pas trop grands. Après plus de trois ans de lutte intensive, le 7 À NOUS tient là, au début de 2013, une précieuse expérience dans ses bagages.
Un premier test face au système bureaucratique
Après la victoire décisive d’octobre 2012, le réseau militant croyait naïvement que quelques mois, peut-être un an, suffiraient pour que le transfert légal du bâtiment se concrétise. Le délai de 52 mois qu’il fallut compter est révélateur des pratiques bureaucratiques et de rapports de force entre institutions privées ou publiques sur des bases d’intérêt financier et/ou politiques. S’il n’y a pas de pression assez forte pour faire avancer un dossier, il risque de dormir « sous la pile ». Voilà un élément dont le 7 À NOUS doit tenir compte dans l’avenir. Quoiqu’il en soit, ce délai entraina une forte démobilisation du réseau militant. Durant trois ans un petit groupe d’irréductibles autour du 7 À NOUS du exercer une constante vigilance pour éviter que le Groupe Mach ne fasse faux bond à sa signature. La présence de quelques militantEs locaux d’expérience, rattachées à des projets déjà en gestation, constituant le cœur de cette fournée initiale du 7 À NOUS (l’épicerie autogérée Le Détour, la micro-brasserie Les Sans Taverne, l’Atelier mécanique), a permis d’éviter l’effritement du projet.
Ce rapport avec la bureaucratie privée et publique fait entrer le 7 À NOUS dans les couloirs du système. Un couloir, où les « moins puissants » sont tassés sur le bord par les stratégies d’affaires des plus forts. Bref, le dossier de la cession du bâtiment 7 n’était pas une priorité pour le Groupe Mach et il le faisait savoir par son inertie. Groupe Mach semblait espérer que les militantEs s’épuisent et abandonnent en jouant sur le temps. Ce blocage plus ou moins volontaire, qui durait depuis 3 ans, n’en finissait plus et en vint à « forcer » le 7 À NOUS à changer de stratégie. Celui-ci décide début 2016 d’agir désormais comme s’il était propriétaire effectif du bâtiment. Cette intuition politique et ce virage ont mis du temps à prendre forme dans les esprits. Ils permettent alors au 7 À NOUS de reprendre l’initiative sur le terrain.
La nouvelle stratégie fait en sorte que le 7 À NOUS se lance dans la recherche de financement, monte les premières esquisses de plans et de distribution de l’espace et amorce une relance plus active d’appels à projets et d’assemblées de mobilisation. Cela va même jusqu’à débuter les travaux au début de 2017 dans un bâtiment qui ne lui appartient pas et sans avoir obtenu toutes les autorisations légales et même complété le financement évalué à 4.2 millions$. D’ailleurs, pour faire image, un bailleur de fonds communautaire trouve même cavalière l’attitude du 7 À NOUS.
Tout compte fait, cette stratégie est payante et l’objectif est atteint. Cette nouvelle effervescence du réseau 7 À NOUS envoie un message clair à Groupe Mach, le 7 À NOUS est là pour prendre possession du nouveau « Bien commun » pour la communauté. On retrouve ici l’esprit frondeur du 7 À NOUS qui depuis ses débuts a constamment forcé les barrières, à cheval entre norme et hors-norme. Et ce caractère, ce souffle libertaire, enclin à la critique de la norme, révèle la nature du défi porté par sa pratique, une sorte de « plate-forme politique » que nous synthétisons de la manière suivante : construire en dehors et en tension avec les Institutions étatiques et politiques de la société. Précisons minimalement : « En dehors » c’est l’idée de construire un écosystème B7 créant des ruptures face aux valeurs dominantes de la société (vivre maintenant la société de demain) et « en tension » par l’espace que le Projet B7 veut occuper sur la place publique, dans sa communauté et au-delà.
Les hésitations du 7 À NOUS
Cette conception et cette pratique d’un rapport conflictuel face aux Institutions sont mises en œuvre depuis le début par le 7 À NOUS. Elles auraient dû logiquement être intégrées dans la philosophie et dans la manière de construire le Projet B7. Dans les faits elles sont devenues petit à petit une caractéristique distinctive du « hors norme » de sa démarche. Et, il faut le souligner fortement, cette ligne d’intervention est une réussite exemplaire. Sans elle, le Projet B7 n’existerait pas.
Mais, ce hors-norme est difficile à maintenir et appliquer. Mais c’est ce qui permet au Projet B7 de « glisser un pied » hors du système par l’invention de nouvelles normes. On imagine bien les défis inédits que cela pose de prendre en compte dans sa philosophie pratique d’action politique un concept comme celui de construire en dehors et en tension. En gros, c’est la notion souvent évoquée au 7 À NOUS de « tracer le chemin en marchant » tout en cherchant à se donner une « pensée commune autonome », propre aux défis du 7 À NOUS/ Projet B7 quant à son rapport et sa place dans la société et dans sa communauté. Plus précisément, il s’agit de donner un sens à la vision du 7 À NOUS « Devenir un moteur de transformation culturelle, sociale, politique, économique et environnementale. » Nous y reviendrons.
Le tourbillon et la vitesse du système
Une cadence infernale va s’imposer aux forces vives du Projet B7. Comme nous l’avons souligné, dès le début de 2017 la mobilisation autour des divers collectifs s’est accentuée et en avril le 7 À NOUS devient légalement propriétaire du Bâtiment 7. Une responsabilité de propriétaire, même si on lui donne le sens de Bien commun, implique son lot d’obligations, dont celui de la viabilité financière. Cette nouvelle réalité dicte au 7 À NOUS l’échéance d’un an pour ouvrir les portes au public. Pouvait-on prendre « le temps qu’il faut », à notre rythme? Dans la conjoncture du moment, ces questions ne font pas le poids. Toutes les énergies sont mises au service d’un objectif, ouvrir en mai 2018.
Le pari est tenu, la phase A (23 % de l’espace total du B7) est inaugurée en mai avec sa quinzaine de projets collectifs autonomes et ateliers divers. Réussite absolument exceptionnelle soulignée autant par l’appui de la population locale que par diverses Institutions politiques et médiatiques. Le Projet B7 entre sur le devant de la scène des « innovations sociales » (plusieurs prix), des « Strat up » du renouveau montréalais, des vedettes de l’économie sociale, etc. C’est une image publique largement définie de l’extérieur.
Mais à quel prix s’est réalisé cette réussite se demande de rares esprits lucides?
En effet, le Projet B7 qui compte à l’inauguration quelque 4 ou 5 salariéEs et entre 75 et 100 membres actifs montre des signes d’essoufflement. On assistera alors, dans les neuf mois suivants, à de longues pauses d’une partie des troupes dues à des fatigues accumulées. Ce qu’il reste d’énergie vise à assurer minimalement un accès aux nouveaux services et à répondre aux exigences en regard des normes du système (permis de ci ou de ça, exigences de sécurité, décisions administratives incohérentes, etc.). Bref, le temps et l’énergie devant être consacrés aux exigences bureaucratiques, financières et autres accompagnent la nouvelle notoriété publique du Projet B7 (demande d’entrevues, film, conférences, etc.), et pèsent de tout son poids.
Ce repos forcé d’une partie des troupes, dû au surmenage généralisé, aurait sans doute dû déclencher au 7 À NOUS, le réflexe du « pas de recul ». Prendre enfin le temps pour faire le point, de reprendre ses esprits. D’autant plus, que déjà on percevait des effets négatifs sur la cohérence interne du Projet B7. Pourtant, dès que le printemps 2019 ramène une nouvelle montée de sève dans l’écosystème B7, on ne semble pas prendre en considération la léthargie collective qui a frappé en tant que signes avant-coureurs d’avoir été happé par la logique d’une « compétition avec le temps ». Pas de réel bilan collectif ou de leçons à tirer. La « machine » est repartie, cette fois pour faire face aux problèmes de cohésion interne qui ont surgi. Un modèle révisé de structure organisationnelle est proposé, un code de vie est adopté, cinq nouvelles salariées sont embauchées, un modèle de gestion des ateliers est mis en chantier. Bref, tous ces admirables et considérables efforts seront mis sans que soit soulevé l’enjeu de la cohésion idéologique du Projet B7.
Là où le réseau libertaire/radical l’a échappé
Exerçant depuis le début une influence significative dans la dynamique du Projet Bâtiment 7, par les projets initiés, ses actions directes et de quelques idées rassembleuses (notamment l’autogestion) et de l’implication militante, le réseau libertaire et radical porte une large responsabilité, à la mesure de son ascendant dans la réussite ou l’échec de ce projet hors norme. Un petit détour s’impose.
La réémergence d’une pensée libertaire dans Pointe-Saint-Charles passe beaucoup par un groupe de six militantEs qui fondent le collectif affinitaire La Pointe Libertaire en 2004. La philosophie d’action du collectif s’inspire du municipalisme libertaire (communalisme), du philosophe et militant anarchiste américain Murray Bookchin. La perspective large est de relancer la « vieille idée d’autonomie » portée par le mouvement social du quartier Pointe-Saint-Charles dans les années 1970 et de la « reradicaliser ». Essentiellement en y « réinsérant » clairement la dimension « politique » de la prise en charge autonome d’une communauté (ici le quartier) à partir de ses propres institutions qu’elles contrôlent directement. L’analyse générale étant que le mouvement social du quartier (Action-Gardien), imprégné d’une vision politique sociale-démocrate usée, est en panne d’une « perspective d’émancipation ».
La stratégie mise de l’avant : lier des actions directes aux revendications communautaires locales. Ainsi, plusieurs actions directes, autour de certaines demandes communautaires, bloquées dans l’appareil municipal, seront menées avec succès au fil des ans. Cette perspective amène La Pointe Libertaire à s’intéresser aux anciens Ateliers du CN. En 2007, le collectif organise une assemblée publique en proposant de créer un village urbain sur les terrains du CN. Cette idée, aux contours utopiques et démesurés, est ramenée, lors de l’assemblée publique de plus de 60 personnes, à l’objectif plus modeste de récupérer un bâtiment. Le bâtiment no 7 (identifié comme tel sur les plans) est ciblé en vue d’une occupation/appropriation. Le Centre social autogéré (CSA), d’inspiration italienne, est alors créé et deviendra très tôt par la suite, une entité autonome de La Pointe Libertaire.
L’afflue d’un nombre important de nouveaux militantEs radicaux au CSA (le CSA remplacera La Pointe Libertaire au sein du 7 À NOUS), diluera l’influence et l’évolution de la pensée politique autour de la perspective communaliste. La gestation lente d’une projection politique communaliste, avec quelques acquis réels sur le terrain, se verra pratiquement « oubliée » dans la nouvelle dynamique militante.
En 2017-2018 lorsque le premier modèle organisationnel est débattu au 7 À NOUS, les divers collectifs porteurs de projets, divergent sur des enjeux de nature politique. Une première discussion sur le capitalisme et l’environnement mène à un cul-de-sac. Le désaccord est alors mis sur le « stationnement » pour discussions ultérieures. On n’y reviendra pas. Le second enjeu veut traiter du salariat (une proposition des délégués du Détour, projet d’épicerie autogérée). Des oppositions à la discussion font obstacle à la tenue du débat. Sur le moment, la situation n’apparait pas préoccupante. La période intense de mise sur pied des divers projets prend toute la place.
Le refus du politique
Un regard dans le rétroviseur nous permet de voir que c’est durant cette période de quelques mois de 2017-2018 qu’un premier différend au sein de la mouvance libertaire/radicale s’est pointé le nez. Aujourd’hui, faute d’avoir été franchement abordé dans les mois et les années qui ont suivi, l’enjeu de fond sur la nature politique du B7 n’a pas évoluée depuis plusieurs années alors que la pratique interne du Projet B7 se transforme. Qui peut dire aujourd’hui « ce qu’on fait ensemble au B7» et « pourquoi le fait-on »? Depuis presque deux ans s’accumulent rumeurs, méfiance et frustrations de toute part. L’effet, on le sent, entraine des impacts destructeurs sur la solidarité.
Pourquoi le Projet B7 est-il incapable d’aborder les enjeux de base contenus dans sa vision? Sans entrer dans les détails (faute d’espace), disons que le 7 À NOUS n’a jamais pris une position quelconque sur un enjeu social, politique, culturel ou économique depuis ses débuts. Pourtant les sujets chauds ne manquent pas.
Relevons qu’après trois ans de vaines tentatives, le 7 À NOUS n’a pas pu se doter d’une instance de coordination fonctionnelle au moment où ces lignes sont écrites. L’enjeu de la gestion du pouvoir interne, non discuté, empêchant la cohésion collective. Étrangement pourrait-on dire, la notion d’autogestion, base et philosophie d’organisation du Projet Bâtiment 7, n’a jamais été discutée. Pourtant elle est mise en pratique. Quel sens lui donne-t-on? On va jusqu’à entendre que l’autogestion c’est « je fais ce que je veux ».
Difficile passage que celui d’une position essentiellement contestataire (la période de lutte d’appropriation du bâtiment) vers une forme de prise en charge collective de la gestion d’un projet autonome. Penser des ruptures d’avec la logique capitaliste, développer l’autonomie individuelle et collective est fondamentalement différent que la simple « opposition » (facilement rassembleuse). Cela demande de la réflexion, du temps pour la faire et la volonté de se confronter à nos contradictions individuelles et collectives. À l’évidence, des personnes trouvent trop difficile ce genre de contraintes.
L’effet de blocage est réel. Cela va jusqu’à refuser de discuter de sujets sensibles. Ce refus du débat nous osons l’interpréter comme le « refus du politique ». Nous entendons par politique : la gestion autonome de l’organisation collective d’une communauté, celle-ci étant traversée par des courants sociaux pouvant être opposés. Et c’est souvent sous le couvert des impératifs d’urgence de toute sorte que le blocage se maintient. Et ce refus du politique n’est pas aussi un positionnement politique? Peut-on le nommer comme une « politique du non-dit »?
La crise qui secoue le 7 À NOUS en 2021
Nous sommes en juin 2021, plus de 4 1/2 ans après la prise de possession du B7 par le 7 À NOUS. De l’extérieur, la perception est sans doute différente pour les gens intéressés ou intrigués par cette expérience collective hors du commun. De l’intérieur, nous parlions plus tôt des effets destructeurs sur la dynamique collective.
Ainsi, depuis presque deux ans, automne 2019, le memberhip a commencé à s’effriter, puis s’est accéléré. Le confinement dû à la pandémie (mars 2020) fut un facteur aggravant sur une situation déjà précarisée. Été 2020, une partie des salariéEs se retrouve hors circuit, certains partent, de nouveaux « Burnout » s’ajoutent. Bref, difficultés internes et pandémie se conjuguent et l’écosystème repose alors sur un plus petit nombre d’individus dont les salariéEs composent une part significative de l’effectif.
Dans tout ce dédale un peu déprimant, il faut signaler quelques bulles dynamiques ici et là. Le travail important sur la structure organisationnelle, réalisée par quelques personnes du cercle structure qui fait partie de ceux et celles qui « tiennent le coup ». Malheureusement, ce travail décisif élude la question du pouvoir faute de consensus sur l’interprétation des blocages qui traversent le Projet B7. D’autre part, le projet Fermette (agriculture urbaine) arrive à mobiliser de façon presque « normale », réalisant complètement son plan d’intervention 2020. Plusieurs nouveaux projets sont en gestation en plus d’une deuxième phase de développement (partie B – 5 millions$) actuellement sur les rails. Le 7 À NOUS répond toujours à ses interlocuteurs extérieurs.
La gestion des urgences est depuis trop longtemps le train-train quotidien au sein du Projet B7. L’urgence de répondre à des engagements pris sans trop d’évaluation, l’urgence de remplacer quelqu’une tombée en « Burnout », etc. Bref, l’urgence s’est installée comme le modus operandi du Projet B7. Pourtant nous le savons, l’urgence c’est la vitesse d’exécution, de réaction, d’efficacité, de performance, en gros, c’est la logique du système capitaliste que le Projet B7 veut justement combattre. Et c’est justement aussi un problème politique.
Cela donne une pression proprement intenable s’exerçant sur le « noyau » portant la charge mentale et émotive du Projet B7. En tout 10 à 15 personnes. L’écosystème du B7 est aujourd’hui rattrapé dans le détour. Tel le chien qui se mord la queue. Tout ne tient pour l’instant que par un bricolage concocté, le plus souvent dans l’urgence, à travers des instances sans cohésion minimale.
L’audace nous appelle à nouveau.
L’enjeu principal soulevé par ce texte n’est pas la disparition physique du Projet B7. D’une façon ou d’une autre il est là pour de bon. Il pourrait être tenu par une dizaine de salariés qui en assureraient la gestion intégrée de divers services à la communauté environnante. Le tout, dans une « tendance sociale-démocrate » de l’économie sociale. C’est la pente glissante qu’emprunte objectivement et sans trop y réfléchir, l’écosystème du B7. Nous serions alors loin, très loin de l’imaginaire d’une Fabrique d’autonomie collective construisant le Projet B7 pour changer la vie. L’imaginaire est aussi une pente, mais en sens inverse, une côte. Impossible de s’y laisser glisser.
Pour le Projet B7, la perspective de la Fabrique d’autonomie collective est encore à portée de main même si elle s’en éloigne. Plus largement, cette perspective c’est aussi la nécessaire reconstruction des communautés locales en commençant par la nôtre, Pointe-Saint-Charles. Encore plus largement, cette perspective ce sont les liens solidaires avec des expériences où le politique est repris en main de manière autonome, les Zapatistes du Chiapas au Mexique, Notre-Dame des Landes en France et des centaines d’autres à travers le monde défiant ouvertement le capitalisme.
La première séquence de cette audace renouvelée, propre à l’histoire du 7 À NOUS, serait de réintroduire le questionnement ouvert et transparent. À commencer par les deux questions suivantes « que fait-on ensemble au B7? » et « pourquoi le fait-on? ».
Une révolution est un processus long et lent alors que trop de gens le pensent comme court.
Références
Garcia Renaud. 2020. La collapsologie ou l’écologie mutilée, Éditions l’Échappée.
La Pointe Libertaire 2013. Bâtiment 7, victoire populaire à Pointe-Saint-Charles, Éditions Écosociété.
Sévigny, Marcel. 2009. Et nous serions paresseux, Éditions Écosociété,
Biographie :
L’auteur du texte, Marcel Sévigny, résident de Pointe-Saint-Charles depuis près de 40 ans, est un militant communautaire et libertaire. Ex-conseiller municipal de Pointe-Saint-Charles, il a été initiateur du groupe affinitaire La Pointe Libertaire aujourd’hui dissout, et est un des fondateurs du collectif 7 À NOUS gérant le Projet Bâtiment 7. Il poursuit son engagement au cercle développement du Projet Bâtiment 7.