Encore une fois, l’échéance électorale municipale voit ressurgir des appels à la mobilisation de la part de diverses gauches. Encore une fois, la gauche urbaine à Montréal, déboussolée, en est réduite pour l’essentiel à tenter de « sauver les meubles » en appelant à voter Projet Montréal afin de bloquer le retour de Coderre.
Un choix qui n’en est pas vraiment un lorsque l’on constate, comme le fait Jonathan Durand Folco, que Projet Montréal a adopté la ligne « sociale-libérale ». https://www.ledevoir.com/opinion/idees/637890/elections-municipales-pour-un-appui-critique-a-projet-montreal.
Cette apparente seule option politique, visant à éviter le pire est le reflet, en gros, de l’état de désorganisation relatif et/ou de la fragmentation des forces sociales dans les quartiers montréalais et par conséquent leurs incapacités à faire émerger à partir de leurs luttes locales une vision politique collective sur la scène municipale. Cette faiblesse s’explique en partie par l’absence d’une « relève » politique et d’un projet politique collectif dédiés à la fois aux revendications issues des luttes sous le thème de la justice sociale, mais une relève capable d’articuler une vision d’écologie sociale comme stratégie et perspectives de lutte pour des quartiers et une ville organisée par et pour une majorité de ses résidentEs.
On le voit depuis quelques décennies maintenant, les partis politiques municipaux montréalais « progressistes », faute d’ancrage militant suffisamment bien organisé, naviguent lorsqu’ils sont au pouvoir selon que la pression est forte d’un côté ou de l’autre des enjeux de classes. Dans cet « exercice d’équilibre constant », on sous-estime totalement les luttes de pouvoir internes dans l’appareil administratif de la Ville autant que dans le parti au pouvoir. À ce sujet, le dernier livre de Daniel Sanger « Sauver la Ville » (Éditions Écosociété, 2021) nous raconte justement ce volet de la politique partisane de l’intérieur.
Somme toute, de l’extérieur on peut noter des différences entre Projet Montréal de Valérie Plante au sein duquel existe un noyau « militant » dans le caucus qui arrive à infléchir des décisions vers des aménagements urbains en faveur des cyclistes et piétons et Ensemble Montréal de Denis Coderre qui, autour du seul chef, surfe essentiellement sur une vision de croissance économique en ligne directe avec le patronat et l’industrie immobilière (promoteurs, spéculateurs, développeurs Smart City, etc.).
Quand l’amélioration du cadre urbain sert le phénomène de l’embourgeoisement
Les actions de Projet Montréal semble plutôt en accord, bien que largement insuffisants selon l’ex-maire Luc Ferrandez, avec l’enjeu des changements climatiques, puisqu’elles améliorent la qualité de vie urbaine dans les quartiers. Le hic, lorsqu’on observe de près, on note aussi, que peu de volonté politique (nous dirions de conscience politique) est mise en œuvre pour protéger les couches sociales vulnérables, non seulement des personnes marginalisées, mais aussi des dizaines de milliers de ménages victimes des effets collatéraux de cette qualité de vie urbaine améliorée. Justement, ces améliorations sont largement soutenues par l’ensemble de l’industrie immobilière qui n’hésitent pas à les inclurent dans leur marketing de vente des nouveaux condos.
Subissant les pressions et les retombées de l’activité immobilière une partie substantielle de la population souffre des augmentations importantes du coût des loyers, du harcèlement des promoteurs dur les locataires, des évictions, des reprises de possessions, bref, de ce qu’on appelle l’embourgeoisement et ses conséquences (affaiblissement ou perte des réseaux de soutien (amiEs, parents, voisins, ressources communautaires, etc.), le remplacement graduel de certains types de commerces abordables par de nouveaux commerces luxueux, etc.). Ce type d’évolution des quartiers, les milieux d’affaires adorent ça parce que les profits sont au rendez-vous.
Dans ces conditions, on doit se demander à qui servent les améliorations de la vie de quartier si une partie substantielle des ménages est forcée de quitter son quartier, des ménages auxquels il reste « quelques moyens » quittent la ville pour les lointaines banlieues. On réplique alors avec des programmes d’accession à la propriété contribuant ainsi à déloger plus de ménages locataires. Voilà une des belles contradictions que Projet Montréal refuse de combattre sérieusement. Parce que cela voudrait dire affronter le milieu des affaires et les promoteurs immobiliers, néfaste pour la réélection.
Un exemple frappant, le Bassin Peel
Ainsi, je prends un exemple dans mon quartier (mais il y en a partout à Montréal), le Bassin Peel dans Pointe-Saint-Charles. La Table Action-Gardien avec une consultation populaire propose une vision documentée, cohérente et chiffrée pour la réalisation d’un quartier à échelle humaine, incluant une majorité de logements sociaux, sur un terrain qui appartient à une société fédérale. Jusqu’ici, Valérie Plante a publiquement pris position pour un stade de baseball sur le terrain. La seule condition pour le refuser est qu’il n’y ait pas de financement public (lire financement direct), ce qui est un leurre. Puisque même s’il n’y avait pas d’argent sonnant de disponible, la Ville dépenserait des sommes très importantes en infrastructure de toute sorte qui profiterait essentiellement aux divers promoteurs. Il s’agit pour la Mairesse d’un choix stratégique : éviter de se faire critiquer par le milieu des affaires et obtenir « certaines concessions éventuelles » pour un petit pourcentage de logement social et quelques services attenants. Et à Projet Montréal, nous savons que les deux éluEs locaux, Craig Sauvé et Sophie Thiébaut sont contre le stade, mais les deux refusent de prendre position publiquement sur le sujet au moment où ces lignes sont écrites. Comment peut-on appeler ce refus de soutenir publiquement une vision du « Bien commun » pour leur communauté ? Je vous laisse le choix des mots.
Malgré le travail acharné de la Table de concertation de Pointe-Saint-Charles nous constatons que la pression des milieux sociaux est nettement insuffisante sur Projet Montréal qui se retrouve à faire partie du Triumvirat fédéral-provincial municipal penchant en faveur des intérêts de Bronfman et Devimco. Plus clairement, ni la Mairesse Plante, ni le Maire de l’arrondissement Benoit Dorais, ni le ministre Miller au fédéral et député du coin, ni la cheffe de l’opposition Dominique Anglade également députée du coin ne soutiennent la proposition communautaire. Si des éluEs locaux municipaux, plutôt classés à gauche, hésitent à se battre ouvertement pour cette majorité montréalaise qui subit de plein fouet le développement capitaliste de la Ville, qui peut le faire sinon un réel mouvement de la gauche urbaine connecté avec les luttes et les vrais besoins dans les quartiers.
La gauche urbaine doit s’enraciner à partir des luttes de quartier
Compter sur quelques dizaines d’éluEs dites progressistes, aussi bien intentionnés soient-ils, est une erreur d’appréciation importante. Les éluEs « de gauche », surtout s’ils détiennent les manettes de l’administration municipale, doivent sentir la pression des revendications populaires venant de la gauche urbaine. Parce que sans pression de gauche, les seules pressions viendront de la droite affairiste. Et on voit très bien où ça nous mène, à des politiques urbaines qui ne font que renforcer le « pouvoir de l’argent ». Voilà pourquoi les pressions de gauche doivent se constituer en un contre-pouvoir.
Pourtant, ni les intellectuelLEs de gauche ni la presse de gauche (À Babord, Presse-toi à gauche, Ricochet/Pivot, etc.) n’accordent d’importance à la notion fondamentale de mobilisation ou de mouvement pour faire bouger les choses sur les enjeux urbains. Lorsqu’on aborde les enjeux urbains en rapport avec la campagne électorale, l’accent est mis essentiellement sur les chances de faire élire des candidatEs.
Deux filières connues pour la gauche urbaine.
1. Soit la gauche urbaine investit massivement un parti politique pour atteindre le pouvoir et y jouer le rôle de chien de garde, soit elle le fait de manière autonome en symbiose avec les mouvements sociaux. Cet itinéraire est connu à travers 3 expériences. Une première tentative avec le FRAP en 1970. Mais les effets de la « Crise d’octobre », faute d’une représentation à l’Hôtel de Ville et par la suite son extinction, n’ont pas permis d’évaluer cette tentative.
Celle du RCM (1974-1994). Aucun bilan critique et exhaustif n’a été fait. Mais pour les défenseurs de la justice sociale sur les enjeux urbains, dont nous étions, les résultats nous apparaissent plutôt mince d’une part et d’autre part il a accéléré l’effritement de ce qui restait d’une gauche urbaine organisée, en partie intégrée et engluée dans les appareils. Bref, malgré la présence d’une solide gauche sociale-démocrate au sein du pouvoir municipal, celle-ci n’a pas pu avancer ses initiatives les plus audacieuses de son programme.
L’autre expérience, que quelques militantEs situent encore à gauche, elle est en cours avec Projet Montréal. Mais après 4 ans aux commandes à l’Hôtel de Ville et dans plusieurs arrondissements, l’appel militant lancé pour un « appui critique » à Projet Montréal, laisse entendre que la gauche urbaine en est réduite à soutenir la voie du « moins pire », face au retour anticipé de Denis Coderre.
Concluons ici que la filière du parti de gauche municipal a du plomb solide dans l’aile. En regard des défis qui attendent la gauche urbaine, ce chemin doit être abandonné.
2. La deuxième option est la plus difficile parce qu’elle exige de s’inscrire dans le temps long. Reconstituer un mouvement de la gauche urbaine veut dire reprendre son bâton de pèlerin avec l’objectif de constituer un contre-pouvoir. Un tel mouvement supportant de manière critique les luttes émergeant des mouvements sociaux a le devoir d’articuler une vision de transformation radicale de la ville et des quartiers et de la porter autant dans les luttes urbaines que face aux administrations municipales. Occuper l’espace urbain de façon autonome ou stratégiquement en lien avec les mouvements sociaux selon les circonstances ne peut pas être une option, c’est une nécessité, compte tenu de la détérioration des conditions de vie et de la crise climatique en cours.
Ce contre-pouvoir ne doit pas viser à prendre le contrôle de l’appareil municipal comme le prône le mouvement municipaliste (voir À Babord ! no 89, Jonathan Durand Folco et Élisabeth-Bruyère, page 48) qui en Europe a réussi des percées significatives. Un mouvement de la gauche urbaine à Montréal, s’il émergeait dans les prochaines années, devrait se contenter dans un premier temps d’observer sérieusement ce mouvement qui à l’échelle d’une ville comme Barcelone donne des résultats qui ne sont pas nécessairement concluants sur nombre d’enjeux critiques pour les classes populaires. Elle ressemble à une variante de l’option 1 présentée plus haut.
Prenons la ville
La Coalition « Prenons la ville » représente une base beaucoup plus intéressante que « Vague écologiste au municipal » (voir) https://www.pressegauche.org/Entente-de-coalition-Prenons-la-ville. Bien que beaucoup trop axée sur la période électorale et en fonction du pouvoir municipal pour réellement construire un contre-pouvoir puissant pouvant récolter les fruits directement par les luttes menées, la Coalition rassemble les éléments d’une vision en phase avec plusieurs enjeux de fond du milieu urbain montréalais. À notre avis, quelques efforts supplémentaires sont nécessaires afin d’accentuer une vision autonome de la démocratie locale. Ainsi, apprendre et intégrer dans les pratiques collectives sur le terrain les notions de démocratie directe et participative et de pouvoir populaire plutôt que de miser sur des structures municipales inféodées au système capitaliste nous apparaîtrait une voie à privilégier.
Les candidatures indépendantes ou écologistes
Le courant « Vague écologiste au municipal » visant à susciter des candidatures écologistes indépendantes ou « en groupe » aux élections municipales n’est pas une voie intéressante. D’autres candidatures indépendantes de gauche, ou socialistes sont également apparues à Montréal. Si dans les villages ou dans de très petites villes ce type de candidature peut avoir un intérêt (les raisons seraient trop longues à développer ici), il en est tout autrement si unE éluE doit vivre face à un appareil administratif organisé et intégré à l’appareil d’état québécois comme l’est celui de Montréal. Et à notre connaissance aucune de ces candidatures indépendantes n’est liée à un mouvement de la gauche urbaine organisée (puisque celle-ci n’existe pas vraiment à Montréal), pouvant apporter une base d’appui permanente en cas d’élection, laissant les personnes élues à elle-même. Par ailleurs, dans une perspective de contre-pouvoir organisée, l’élection d’unE candidatE ou de plusieurs devrait servir essentiellement à donner une « voix supplémentaire » à ce contre-pouvoir et non à « mieux faire fonctionner l’appareil ». Cette stratégie « intéressante » a été utilisée partiellement à Pointe-Saint-Charles sur plusieurs années (grosso modo de 1986 à 1994) avec un certain succès. Mais elle est risquée, même avec le soutien d’une forte base militante. Parmi les risques, l’attrait du pouvoir personnalisé est particulièrement redoutable.
Le défi: donner la priorité à un véritable contre-pouvoir de la rue
Au lendemain de l’élection municipale montréalaise, les militantEs de la gauche urbaine devraient mettre à leur agenda des discussions en vue de proposer une vision stratégique d’un contre-pouvoir montréalais autour des défis urbains. On ne part pas de rien ni de nulle part. Les thèmes qu’avance « Prenons la ville » et certains milieux écologistes, les luttes importantes qui se mènent, et le cul-de-sac que représente la politique partisane indique que notre ville, nos quartiers ont besoin d’un mouvement de la gauche urbaine. Autrement, il est possible qu’un nouvel appel appuyant une solution du « moins pire » ne se fasse entendre en 2025.