Triste époque!
En 2020, le projet Bâtiment 7 a connu, comme bien d’autres groupes sociaux, une année qui a paru particulièrement difficile sous les effets de la pandémie. À vrai dire, tout s’est déroulé en dents de scie, parsemé de bons moments et entrecoupé d’autres, très perturbateurs et déstabilisateurs. Et 2021 qui s’amorce et que d’aucuns espèrent meilleure, mais elle ne le sera sans doute pas. Il ne s’agit pas d‘un manque d’optimisme ou d’un pessimisme exagéré lorsqu’on évalue nos enjeux locaux à la lumière de notre minuscule présence dans le monde. Localement, on peut envisager au Bâtiment 7 une autre année difficile.
Mais, sur le terrain, on peut y déceler quelques pistes d’ensoleillement pour peu que s’y maintienne des liens et un esprit de combativité et de solidarité.
Le défi s’est accentué en 2020 via l’émergence d’enjeux tels que le racisme, la diversité/inclusion, l’utilisation de la langue, etc. Quelques soient les problématiques on doit éviter qu’elles soient abordées sous les angles de l’accusation ou de la victimisation. Mais pour l’heure, la place, les attitudes et les moyens pour des débats sereins et ouverts n’ont pas été trouvés, avec le risque inhérent (plus le temps passe) de laisser l’espace à des clivages pouvant mener à des fractures et des luttes de pouvoir reproduisant ce que la société capitaliste nous montre tous les jours.
Nous vivons une triste époque, époque de désordre général. Le futur apparaît sans avenir, surtout pour les jeunes générations. Sous la coupe de la dynamique pathologique du capitalisme industriel, nos sociétés et nos gouvernements, face aux perturbations causées par la pandémie 2020, tendent à recourir au même discours et aux mêmes méthodes avec le but ultime de la relance, le plus vite possible, de la croissance. Ceux qui avaient osé « rêver » tout haut au printemps dernier que rien ne serait plus pareil (lire la fin des excès de consommation) se sont tus. Ce n’est en effet plus pareil, c’est peut-être pire. Une analyse des perspectives économiques du journal Le Devoir du 31 décembre titre : « Une remise sur les rails de l’économie à l’horizon », une teneur on ne peut plus claire d’une fuite en avant. Pourtant, et à titre d’exemple, la pandémie a mis à nu la réelle fragilité des systèmes de santé du monde occidental, dont celui du Québec, que la lente détérioration (planifiée) des trente dernières années avait été recouverte du voile, entre autres, d’une surexploitation des effectifs humains. À part quelques ajustements de circonstances, rien n’est remis en question. À titre révélateur, la pétition (journal de Montréal, 17 novembre 2020) de quelques centaines de médecins réclamant une forme légère de décentralisation du système de santé a été écartée du revers de la main par le gouvernement Legault. Le dysfonctionnement de plus en plus marqué des services sociaux de base, même dans les pays opulents (éducation, transport, protection, santé, etc.) se trouve brutalement révélé. Ce dysfonctionnement continu indique bien la trajectoire du néo-libéralisme.
Pourtant, bien peu de gens sont prêts à dire « BASTA », c’est assez, et surtout à passer aux actes. On préfère encore chercher des aménagements au système plutôt que de faire œuvre de critique sociale et culturelle. Vaut-il encore la peine, s’inquiète Renaud Garcia[1], « de dénoncer l’unidimensionnalité de la société consumériste, ses formes grossières ou subtiles de neutralisation de toute vie réellement vécue au profit du spectacle triomphant de la marchandise, de pointer la dépossession de l’autonomie individuelle et collective par des institutions bureaucratiques surdimensionnées et absurdes? ». En somme, peu d’analyses serrées des mécanismes d’exploitation économique, de la propriété privée comme vol ou extorsion de survaleur n’émaille la quasi-absence d’une critique sociale de fond.
Bref, le projet Bâtiment 7 patauge lui aussi dans ce douloureux délabrement du monde et ne sait plus très bien comment reprendre et développer cette critique de la propriété qui l’avait porté à réaliser une « expropriation populaire » en avril 2017, contre le plus gros propriétaire immobilier privé du Québec, le groupe Mach. Toujours est-il, que le 7 À NOUS est confronté en cette fin d’année 2020 à une charge sous idéologie capitaliste d’un OSBL culturel bien connu du milieu culturel à Montréal, Quartier Éphémère/Fonderie Darling. Ce dernier a décidé, en utilisant le front légal et l’arme de la propriété privée, d’attaquer le 7 À NOUS pour le faire plier, lui imposer sa présence.
Retour sur une controverse
Quartier Éphémère/Fonderie Darling est un des membres fondateurs du 7 À NOUS en mars 2009. Le groupe se forme rapidement suite à la démolition sauvage (sans permis) d’une partie du bâtiment le 22 février 2009. L’objectif : récupérer le bâtiment pour la communauté Pointe-Saint-Charles. Quartier Éphémère/Fonderie Darling est alors mandaté au nom du 7 À NOUS (puisque ce dernier était déjà constitué en OBNL) pour être le « receveur » de ce bâtiment. Quartier Éphémère/Fonderie Darling s’étant engagé à le remettre au 7 À NOUS par la suite.
La lutte pour récupérer le bâtiment 7 porta fruit et culmina par une décision adoptée par le Conseil de Ville de Montréal en octobre 2012. Quelques mois après l’acte de cession du Bâtiment 7, Quartier Éphémère/Fonderie Darling quittait soudainement le 7 À NOUS sans raison apparente en 2013. Quartier Éphémère/Fonderie Darling se retrouva du jour au lendemain et de façon légale, propriétaire unique du Bâtiment 7. Ce faisant, Quartier Éphémère/Fonderie Darling n’avait plus d’engagement envers le 7 À NOUS puisqu’il n’était plus membre. Mais le mandat qui lui avait été confié, basé sur une déclaration et une confiance mutuelles et non sur la signature d’un quelconque contrat, était donc un engagement moral de céder sans condition le bâtiment au 7 À NOUS.
Mais, heureusement, l’entente de 2012 adoptée par la Ville spécifiait que le bâtiment devait devenir la propriété du 7 À NOUS. Mais faisant fi de son engagement moral, Quartier Éphémère/Fonderie Darling décida de profiter alors de son statut transitoire de propriétaire légal pour imposer ses conditions au 7 À NOUS avant de lui céder le bâtiment. Des négociations eurent lieu, mais en position de faiblesse (des raisons qui seraient trop longues à expliquer ici) , le 7 À NOUS dut signer une entente en 2014, permettant à Quartier Éphémère/Fonderie Darling le pouvoir de :
- Réclamer à titre privé le tiers (1/3) du bâtiment 7, soit 30 000 pi² pour ses propres fins.
Ces négociations ont permis de faire ressortir les raisons pour lesquelles Quartier Éphémère/Fonderie Darling avait quitté le 7 À NOUS en 2013 sans justification apparente.
Brillante manœuvre de Quartier Éphémère/Fonderie Darling visant à protéger ses intérêts diront certains. En fait, ce que cette manœuvre évoque le plus ce sont les motivations profondes de Quartier Éphémère/Fonderie Darling, à tout le moins celles de ses dirigeantes et dirigeants. Bref, une manœuvre digne des luttes de pouvoir propres à la société capitaliste
D’abord renier sa signature
En fait, en quittant le 7 À NOUS, ce qu’il avait tout à fait le droit de faire, Quartier Éphémère/Fonderie Darling avait déjà en tête son propre objectif : celui de s’approprier privément une partie du Bâtiment 7 afin de réaliser son projet d’ateliers d’artistes sans avoir à négocier ou à débattre quoi que ce soit avec les intervenants du milieu.
Pour arriver à ses fins, Quartier Éphémère/Fonderie Darling a d’abord renié la signature qu’il avait apposée à la déclaration commune lorsqu’il s’est joint au 7 À NOUS en 2009. Cette déclaration affirmait entre autres (nous synthétisons ici) que: le Bâtiment 7 doit être un projet collectif à propriété unique devant être géré par l’ensemble de ses participants sur un mode d’autogestion, au service de la communauté Pointe-Saint-Charles.
Ensuite, rejeter les orientations collectives adoptées à l’unanimité
Le reniement de cette signature s’accompagnait du rejet des orientations que le mouvement social de Pointe-Saint-Charles s’était donné dans la déclaration :
- Un projet collectif à propriété collective et unique,
- Un mode de fonctionnement autogestionnaire impliquant le débat et la discussion.
Et enfin, l’utilisation du droit et de la propriété privée comme assise des rapports sociaux
Sous le couvert du droit à la propriété privée, ce dernier comme outil d’appropriation d’un Bien commun, Quartier Éphémère/Fonderie Darling fait corps totalement avec la philosophie libérale la plus insidieuse. Ce groupe qui s’affiche progressiste et ouvert sur l’art comme moyen d’expression (voire même contestataire de l’imaginaire capitaliste à travers les artistes qui s’y produisent), pouvant se faire une place sur le « marché de l’art », transporte dans ses bagages cette pensée libérale propre au projet économique néo-libéral actuel prônant l’hyperindividualisme. En y regardant de près, et comme l’analyse Jean-Claude Michéa[2], « droit et marché ne représentent pas autre chose que les deux faces de la même médaille philosophique libérale donnant la primauté absolue de l’individu et de sa liberté sur toutes les formes de coercition institutionnelle ou collective ». On comprend mieux l’aversion de Quartier Éphémère/Fonderie Darling face à la propriété collective et unique et le mode de fonctionnement autogestionnaire prôné par le 7 À NOUS. Quartier Éphémère/Fonderie Darling est en réalité un instrument de l’élitisme et de la valorisation de la philosophie libérale de la société.
Se faisant Quartier Éphémère/Fonderie Darling tente d’éviter d’être « influencée » par la dynamique et la philosophie collectives qui a cours au projet Bâtiment 7. En voulant imposer son modèle de fonctionnement hiérarchique des ateliers d’artistes et de son projet RAIL, Quartier Éphémère/Fonderie Darling montre qu’il est vraiment qu’il est étranger à la dynamique communautaire du quartier dans sa façon d’agir, sa peur d’être contaminé par des idées collectivistes. Le fait que Quartier Éphémère/Fonderie Darling soit établi au centre-ville en bordure du Vieux-Montréal (l’arrondissement Ville-Marie), donne encore plus l’impression qu’il participe du même élan que les promoteurs immobiliers envahissant un milieu et affirmant qu’ils veulent notre bien.
N’avons-nous pas là une démonstration éloquente de la part de Quartier Éphémère/Fonderie Darling d’une reproduction des rapports de pouvoirs et des combines qu’on peut observer tous les jours dans cette société libérale et capitaliste?
Le 7 À NOUS met de l’eau dans son vin
Maquette de la proposition du 7 À NOUS pour le projet Rue du Village (Quartier Éphémère/Fonderie Darling aurait été logé au 2e étage)
Quatre jours avant la fin de l’échéance (24 avril 2018) inscrite dans le contrat de 2014, Quartier Éphémère/Fonderie Darling informait le 7 À NOUS de son intention de reprendre le (1/3) du bâtiment 7. Dès lors, le 7 À NOUS et Quartier Éphémère/Fonderie Darling ne pouvait pas se soustraire à la discussion et au débat. Ce retour « attendu » de Quartier Éphémère/Fonderie Darling n’allait cependant pas être le cheminement tranquille qu’il espérait peut-être.
Le 7 À NOUS n’avait pas oublié les années précédentes ponctuées d’échanges acrimonieux tournant exclusivement autour de questions financières. Cela anticipait déjà le type de rapports que Quartier Éphémère/Fonderie Darling voulait imposer au 7 À NOUS sur la base de son droit à la propriété. Mais le 7 À NOUS, contestant la façon moralement inacceptable de s’être fait imposer les conditions contractuelles de 2014, profita du fait qu’il fallait minimalement établir des ordres du jour de discussion pour introduire dans les séances deux éléments de fond :
- l’enjeu du maintien d’une propriété collective unique,
- le développement d’un projet d’ateliers d’artistes liés aux besoins des artistes du quartier et donc qui devait être débattu et négocié.
Ces deux éléments découlaient d’une interprétation que le 7 À NOUS pouvait faire de certains termes du contrat de 2014.
Le 7 À NOUS savait bien que Quartier Éphémère/Fonderie Darling refuserait de modifier sa position. Il n’est donc pas surprenant qu’après 1 an de pourparlers, ceux-ci se soient terminés sur un constat d’échec.
Ainsi, sentant que les discussions ne menaient à rien et se dirigeaient vers un cul-de-sac, le 7 À NOUS, chargé de préparer la rencontre du 11 juin 2019, déposait en même temps que l’ordre du jour, une proposition de compromis à Quartier Éphémère/Fonderie Darling. Choqué semble-t-il, Quartier Éphémère/Fonderie Darling avisa la veille qu’il ne se présenterait pas à la réunion.
La proposition de compromis
La proposition de compromis est celle-ci :
- Le 7 À NOUS ne questionne plus la nature du projet de Quartier Éphémère/Fonderie Darling. C’est tout de même une entorse au principe de négociation accepté par tous les autres projets (15) évoluant au Bâtiment 7.
- L’ampleur de l’espace (25 000 pi²) proposé à Quartier Éphémère/Fonderie Darling correspond en gros au tiers du Bâtiment 7 et comprend des espaces partagés (hall d’entrée, etc.). Cela vient restreindre l’éventail des activités artistiques que souhaitent recevoir le 7 À NOUS, alors que Quartier Éphémère/Fonderie Darling se concentre essentiellement sur l’art contemporain.
- Malgré le fait que Quartier Éphémère/Fonderie Darling ne partage pas les principes de fonctionnement du 7 À NOUS, ce dernier lui offre une participation à la gestion du projet Bâtiment 7.
De plus, pour répondre à l’argument central de Quartier Éphémère/Fonderie Darling (celui de pérenniser les ateliers d’artistes), le 7 À NOUS propose un bail à très long terme dont il ne propose pas les modalités.
La ligne rouge
Par ailleurs, le 7 À NOUS tire la ligne rouge à ne pas franchir. Il refuse la scission de la propriété collective en deux co-propriétés distinctes comme le veut Quartier Éphémère/Fonderie Darling. Pour des arguments de fond, voir l’article précédent « S’attaquer à la propriété privée : briser un tabou dans la gauche ».
Cette position du 7 À NOUS fut approuvée par le cercle général du B7.
Un bras de fer qui s’étire
La proposition d’ouverture du 7 À NOUS ne semble pas avoir été appréciée par Quartier Éphémère/Fonderie Darling, puisque que la première et la seule réponse reçue en septembre 2019 fut une lettre d’avocat mettant le 7 À NOUS en demeure de céder une partie du Bâtiment.
Cela forçait donc le 7 À NOUS à faire appel lui aussi à un avocat. Ceci enclenchait le cycle sans doute souhaité par Quartier Éphémère/Fonderie Darling, celui de la voie vers une judiciarisation du litige autour de la notion de propriété et d’un contrat signé.
Quartier Éphémère/Fonderie Darling évaluait donc la proposition du 7 À NOUS comme un recul stratégique, signifiant qu’il ne souhaitait pas judiciariser le litige avouant par le fait une position légale faible.
Ainsi, des échanges via les avocats (sorte de négociation ou de jeu de cache-cache) continuèrent et ce bras de fer déboucha sur le dépôt d’une poursuite judiciaire contre le 7 À NOUS en novembre 2020, soit plus de 21/2 ans après le début des pourparlers.
La résurgence du politique
Bien sûr, un conflit juridique cache toujours des enjeux politiques. Cependant, dans notre société, l’utilisation du droit a tendance à refouler le politique dans la marge, bref, à donner à la dimension légale et aux avocats une surreprésentation pour régler des conflits d’ordre politique.
Ainsi, après quelques années ponctuées de tentatives de négociation à l’amiable, Quartier Éphémère/Fonderie Darling, un groupe diffusant de l’art contemporain, a décidé de poursuivre le 7 À NOUS, promoteur du projet Fabrique d’autonomie collective dans le vieux bâtiment industriel récupéré du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal.
Ce genre de litige immobilier apparaît plutôt banal dans notre société, régie par le droit de propriété privé. Habituellement les protagonistes acceptent complètement les règles du jeu et la logique du droit à la propriété privée pour finalement s’en remettre à la décision d’un tribunal.
Mais, dans le cas qui nous occupe ici, l’enjeu est tout sauf banal. Dans un premier temps, il met aux prises deux groupes qui, malgré certaines divergences « normales » en société, devraient arriver à se rejoindre sur un « terrain commun » par la négociation en vue d’une cohabitation dans un même ensemble. Qu’une entente n’ait pas pu être réalisée est révélateur du gouffre qui sépare les deux parties. En tout cas, suffisamment profond pour inciter une des parties à mettre des avocats dans le coup avec tous les frais que cela peut représenter. Quel paradoxe, deux OBNL qui tirent le diable par la queue et qui vont alimenter les revenus des bureaux d’avocats.
Le malentendu entre les 2 groupes n’est pas récent (voir l’article précédent « S’attaquer à la propriété privée… »). Mais la poursuite du rapport de force sur le terrain légal en cette fin d’année 2020 indique que l’enjeu est de taille pour les 2 groupes. D’une part, le 7 À NOUS pose l’enjeu en terme politique. Lieu collectif de résistance (apprentissage de l’autonomie, de la gestion collective et de rapports sociaux plus égalitaires, entraide, coopération, etc.), d’une assise concrète pour construire le Bien commun, d’un enracinement territorial autour d’un projet de quartier, etc., le Bâtiment 7 doit être retiré du marché.
Étranger à toutes ces notions, Quartier Éphémère/Fonderie Darling est plutôt ancré dans un « autre monde », celui d’où justement le 7 À NOUS cherche à sortir. Ce monde obsédé par la croissance, vorace en carburant humain, axé sur des rapports de pouvoir démolisseurs de liens sociaux et alimentant la « société du spectacle ». En donnant priorité absolue à la lutte sur le terrain légal, Quartier Éphémère/Fonderie Darling s’est retranché derrière le droit de propriété, formule dure du néo-libéralisme et élément fondamental du capitalisme prédateur.
De ce contrat de 2014, l’une et l’autre des parties tire avantage de quelques expressions approximatives. On peut faire dire n’importe quoi à toute déclaration ou à tout contrat. C’est ce s’emploieront à faire les avocats au service de leur client et qu’un ou une juge tranchera si ça devait se rendre jusque-là.
Le pari de Quartier Éphémère/Fonderie Darling
En s’embarquant dans un bras de fer juridique Quartier Éphémère/Fonderie Darling fait le pari suivant : le 7 À NOUS n’osera pas utiliser l’arme qui l’a mis au monde : l’action directe comme moyen d’action privilégié.
Il est quasi impossible de croire que cette lecture faite par Quartier Éphémère/Fonderie Darling soit basée sur une analyse de la situation interne de l’écosystème du B7. Sans sous-estimer l’adversaire, Quartier Éphémère/Fonderie Darling n’a jamais lui-même utilisé ce genre de stratégie, il n’y connaît rien. Le parcours de Quartier Éphémère/Fonderie Darling et sa notoriété ont été bâtis sur le lobbying et le marketing politique. D’autre part, il a peu de contact avec la dynamique interne assez complexe au B7.
Si le 7 À NOUS a mis l’emphase depuis 21/2 ans sur la négociation, c’est beaucoup parce que sa vision politique générale manquait de clarté. Le 7 À NOUS s’en est tenu durant presque tout le temps des négos à consolider une stratégie en 2 points : amener Quartier Éphémère/Fonderie Darling à faire des concessions et renforcer sa position juridique.
Faisons une parenthèse ici pour rappeler un élément essentiel de cette période. Ainsi, emporté par une effervescence hors de l’ordinaire en vue de réaliser la première phase de son projet à partir d’avril 2017 (au moment où il prend possession d’un bâtiment délabré), le 7 À NOUS fut contrait, sous le poids immense de tout prendre en charge, d’abandonner toute réflexion collective coordonnée sur l’évolution de son projet face aux pressions du « monde » extérieur. Ainsi, à partir de l’inauguration des 15 projets en mai 2018, l’écosystème du B7 a dû composer, difficilement d’ailleurs depuis ce temps, avec sa nouvelle dynamique interne. Le 7 À NOUS a ainsi accumulé un retard certain quant à la défense collective de sa mission, de ses valeurs et des actions à mener sur son projet de quartier.
Il n’est donc pas étonnant que cette vision et cette compréhension du rôle de la propriété collective au sein du B7 se soient précisée durant cette longue période de négociation avec Quartier Éphémère/Fonderie Darling. On peut ajouter aussi que l’attitude générale de Quartier Éphémère/Fonderie Darling vis-à-vis le 7 À NOUS a soutenu une trajectoire de radicalisation au sein du B7.
Mais, plus probable, serait la lecture de Quartier Éphémère/Fonderie Darling.
Le projet Bâtiment 7 ayant atteint une certaine notoriété publique, tissée des liens financiers avec des bailleurs de fonds privés ou publics et somme toute devenant crédible au sein de cette même société que par ailleurs « il conteste », le 7 À NOUS n’osera pas porter la polémique politique sur la place publique.
En faisant un tel constat, Quartier Éphémère/Fonderie Darling se renvoie, tels un miroir, la position et la place qui sont la sienne et qu’il défend dans la société néo-libérale. Le 7 À NOUS étant rentré dans le rang, n’osant plus contester qu’à la marge et d’ailleurs étant absent de l’espace public, il mise en fin de compte qu’un ou une juge lui donnera entièrement raison quant au litige sur la propriété.
Le 7 À NOUS donnera-t-il raison à Quartier Éphémère/Fonderie Darling ? La question est pertinente et nous allons voir pourquoi.
Le 7 À NOUS politiquement sur un terrain glissant
Animé pour une part significative par des militantes et militants radicaux ou anticapitalistes, le projet Bâtiment 7 est susceptible d’utiliser l’action directe afin de dénouer des rapports de force. L’action directe fut la base la principale stratégie ayant menée à l’émergence du B7.
Mais la situation a bien évolué depuis quelques années au point où, objectivement, les visages de l’adversaire ne sont plus les mêmes et surtout ils sont devenus beaucoup plus flous. Nous n’allons pas ici décortiquer le portrait d’ensemble dans lequel se trouve et évolue le projet Bâtiment 7. Cela mériterait une longue analyse qui devrait être assumée en premier lieu par le B7 lui-même et qui, pour l’heure, n’a pas été faite.
Cependant, il n’est pas impossible d’y faire un peu de lumière.
- 2009 à avril 2017 – phase de contestation, de pression, de mobilisation et d’élaboration générale de l’idée du projet Bâtiment 7.
- En prenant possession du Bâtiment 7 en avril 2017, le 7 À NOUS entre dans une phase permanente de construction d’un projet de quartier autour de l’imaginaire Fabrique d’autonomie collective.
- À l’interne cela signifie l’organisation d’un système de gestion collective autogestionnaire, égalitaire, inclusif, bref, visant à des ruptures d’avec le fonctionnement de la société qui l’entoure. On y parle aussi d’économie, de culture différente de la société, mais sans précision.
- Cette deuxième phase est permanente dans le temps en ce sens :
- Qu’au B7 l’orientation est de développer en inventant un rythme qu’il est en mesure de soutenir, accordé avec les moyens dont il dispose,
- Que le projet général du B7 s’adapte et se modifie selon l’évolution sociale et les dynamiques de société.
- Cette deuxième phase est centrée sur l’établissement de liens formels avec des acteurs de la société contribuant à son financement. Pour la totalité, ces acteurs ne sont pas en opposition avec la société capitaliste, plusieurs en sont des rouages.
- Ce choix du B7, puisqu’il s’agit d’un choix même s’il n’a jamais été discuté en profondeur, implique donc une obligation du 7 À NOUS de se louvoyer constamment s’il veut défendre la mission et les valeurs qu’il s’est données.
Nous avons ici, en très bref, la toile de fond où se retrouve le 7 À NOUS et dont une des faiblesses est celle d’une lisibilité floue de ses liens face à son entourage en étant plutôt dépendant qu’autonome sur le terrain du financement.
Évidemment, tous ceux et celles qui connaissent le moindrement la dynamique communautaire et culturelle au Québec savent le danger que comporte le fait d’être « dépendant » financièrement de l’extérieur. Bref, il faut éviter des controverses qui indisposeraient des bailleurs de fonds et conséquemment mettre en péril une ou des sources de financement. « On ne mord pas la main qui nous nourrit » dit l’adage. Et, dans ce contexte largement connu, Quartier Éphémère/Fonderie Darling, qui vit en bonne partie sur les subventions, sait pertinemment que le B7 est dans une situation semblable.
Et c’est sans doute l’analyse qu’à fait Quartier Éphémère/Fonderie Darling pour foncer dans la voie de l’action judiciaire et maintenir le litige dans le cadre d’une querelle privée entre deux organismes. Bref, Quartier Éphémère/Fonderie Darling conclue que le 7 À NOUS n’osera pas faire de controverse politique sur la place publique.
Le 7 À NOUS osera-t-il la lutte politique ?
Sur le plan politique, le terrain est devenu plus glissant pour le 7 À NOUS. Cependant, il devra décider si oui ou non il va au combat sur un enjeu politique de fond (la remise en question du droit de propriété), comment il le fait ou bien s’il laisse à un ou une juge le soin de décider selon les normes de la logique capitaliste ?
Il y a d’un côté la lutte judiciaire. Celle-ci peut-être politisée à l’occasion. Dans le cas qui nous occupe, le dossier ne se traiterait pas sur l’enjeu de la propriété, mais sur l’évaluation d’un contrat entre les deux parties. À ce niveau, que le 7 À NOUS perde (scission du bâtiment en 2 co-propriétés) ou qu’il gagne (maintien de la propriété unique et collective) il aura perdu. Il est difficile de croire qu’un juge ne donne totalement raison à l’une ou l’autre des parties. Mais (supposons) que le 7 À NOUS gagnait avec « les outils du capitalisme » (le droit et le système judiciaire), une telle victoire ne renforcerait-elle pas la logique du système que le 7 À NOUS est censé combattre ? Mais il pourrait s’agir, si cette voie était empruntée, d’une impulsion tactique tout à fait valable. Mais encore faudrait-il qu’elle soit reliée à une stratégie et à des perspectives politiques suffisamment claires pour bien saisir la portée et le sens de la tactique.
Or, on sait depuis fort longtemps, les mouvements sociaux réformistes ayant décidé de s’accommoder du capitalisme cherchent essentiellement à tirer leur épingle du jeu au sein du système. Alors, la tactique n’est plus liée à une stratégie aux perspectives politiques claires. L’intégration aux visées du système est totale. Au Québec, c’est là où nous en sommes actuellement.
Il y a de l’autre côté la lutte politique. Dans le litige qui nous occupe, cela signifie l’utilisation de l’espace public (médias ou autres) pour défendre son choix, et dans ce cas-ci, forcer Quartier Éphémère/Fonderie Darling à abandonner son projet d’occupation d’une partie du Bâtiment 7 en exerçant un rapport de force direct.
Cette option de l’action directe et de la lutte politique est la plus difficile à choisir parce que potentiellement plus confrontant. Mais c’est la façon la plus claire d’affirmer un BASTA.
Dire BASTA à Quartier Éphémère/Fonderie Darling c’est dire OUI au Bien commun.
Nous l’avons souligné plus tôt. Quartier Éphémère/Fonderie Darling a choisi la voie judiciaire parce que pour lui c’est la seule voie possible pour gagner et maintenir sa notoriété dans la société montréalaise. Il est certain que toute polémique publique lui serait néfaste auprès de ses partenaires. Quartier Éphémère/Fonderie Darling fait la même lecture au sujet du 7 À NOUS.
Il s’agit de savoir si le 7 À NOUS fait la même analyse que son adversaire ? On arrive ici pour le 7 À NOUS à une sorte de croisée des chemins, un de ces moments qui vont déterminer s’il continue à débroussailler le chemin qu’il a emprunté.
Osera-t-il prendre le risque de déplaire ou d’indisposer ses bailleurs de fonds, publics et privés, en politisant, sur la place publique, l’enjeu de la propriété privée et d’ouvrir une nouvelle brèche sur le terrain de l’autonomie ?
C’est le point chaud qui entamera l’année 2021.
[1] Renaud Garcia, La collapsologie ou l’écologie mutilée, Éditions l’Échappée, 2020, page 10.
[2] Jean-Claude Michéa, cité dans Charles Robin, « La gauche du capital » page 165.