L’enthousiasme est palpable dans la gauche réformiste montréalaise à la suite de l’élection de Valérie Plante et de Projet Montréal. Avec raison, car on vient au moins de se débarrasser d’un « mon’oncle de la politique » en faveur d’un parti qui s’affiche beaucoup plus près des préoccupations de la vie quotidienne dans les quartiers. Dire que le départ de mon’oncle Denis n’est pas rafraichissant pour les progressistes serait de nier une évidence.
La plupart des chroniqueurs ont analysé sous toutes les coutures l’étonnant résultat électoral. Notant combien l’image de fraicheur de la nouvelle mairesse contrastait face au style politicien traditionnel, populiste et paternaliste de Denis Coderre. Pour les médias de masse, qui avait tous donné leur appui à Coderre, la conclusion générale est qu’on vient de voir surgir la génération X (1966-1976) au pouvoir à Montréal, essentiellement parce que Coderre a fait une mauvaise campagne et que l’image de Valérie et son style l’ont largement emporté sur celui de Denis. On a même eu droit à une émission d’analyse du sourire de Valérie à Radio-Canada, ce lundi 13 novembre.
On voit là l’exemple de ces campagnes électorales modernes où l’image et le clip dominent à travers les médias de masse et les médias sociaux. Les enjeux de fond de la société montréalaise (pauvreté, transport, pollution, embourgeoisement, etc.) n’auront été qu’effleurés. On radote encore qu’une campagne n’est pas un moment où on peut vraiment approfondir les sujets. Bref, comme à leur habitude les médias et les soi-disant spécialistes ont été incapables d’expliquer les résultats au-delà du vernis spectaculaire de l’image. Et vous remarquerez dans la foulée que le taux d’abstention (58%) est passé à la trappe en tant qu’élément d’analyse.
Les leçons d’une histoire récente
Nous voilà donc en 2017, 31 ans après l’élection du Rassemblement des citoyens-nes de Montréal autour de Jean Doré. Un maire et un parti considéré comme progressiste à l’hôtel de ville. Que retient-on de l’ère sociale-démocrate du RCM qui aurait bousculé les mœurs politiques à Montréal, du genre : une plus grande appropriation du pouvoir local par ses citoyens et citoyennes à travers des conseils de quartier (programme électoral du RCM en 1986). N’est-ce pas là au fond le « souhait » profond de ceux et celles qui ont voté Valérie Plante ?
Les 8 ans du RCM n’ont somme toute apporté qu’une modernisation de l’institution municipale (consultation, déconcentration vers les arrondissements, etc.) nous sortant de l’ère Drapeau. Cela peut être appréciable pour une « gauche de gouvernement » mais ça n’a pas donné plus d’outils et de pouvoirs à ceux et celles qui vivent et façonnent la vie des quartiers. Au contraire, nous sentons plus que jamais la mainmise des technocrates, de l’appareil administratif et surtout du pouvoir de l’argent pour « mettre Montréal sur la map » comme disait Coderre. On peut, sans se tromper, affirmer que le premier plan d’urbanisme de l’histoire de Montréal, œuvre du RCM en 1992, fut un outil utile pour l’industrie immobilière au détriment des réels besoins de la population.
Vaguement social-démocrate, contrairement au RCM, Projet Montréal se voit catapulté « dans la machine » pour gérer la ville et ses arrondissements. « Remake » des années RCM (1986-1994) ?
Les « deux monstres » qui attendent Valérie
Valérie Plante et Projet Montréal ont sans aucun doute de très bonnes intentions. Mais ce ne sera pas suffisant. Rapidement, le nouveau pouvoir politique aura à faire face au premier monstre que représente l’appareil administratif montréalais. La force d’inertie installée dans une structure hiérarchisée, au sein de laquelle œuvrent 28 000 personnes, aura tôt fait de saper les bonnes intentions. Le slogan de campagne « Plus de planification, moins de congestion » frappe l’imagination. Mais ça reste un slogan. Bien sûr, on peut s’attendre à un certain apaisement et même à une meilleure coordination sur certains dossiers entre la ville-centre et les arrondissements. Mais, la cinquantaine d’élu-e-s de Projet Montréal atteindront rapidement le redoutable mur bureaucratique, il n’est pas très loin.
Le deuxième monstre est celui du pouvoir de l’argent qui contrôle le développement de Montréal. Son image spectaculaire s’agglutine autour du développement immobilier et de l’industrie touristique de masse. Haute technologie, embourgeoisement de la ville et des quartiers, industrie du spectacle dominent outrageusement cette conception de la ville. Une sorte de fuite en avant pour mettre Montréal « sur la map » comme disait Coderre. Cette vision, grossièrement résumée ici, entraine une hyper marchandisation du territoire. Tout est soumis à la rentabilité foncière. Nous le vivons durement dans la mise sur pied de notre projet alternatif du Bâtiment 7 « Fabrique d’autonomie collective ». La marchandisation est une attaque frontale à ce qu’une majorité de Montréalais souhaiterait lorsqu’ils et elles rêvent d’une vie de quartier avec des liens sociaux, du logement abordable et familial, des transports nombreux, adéquats et surtout accessibles, etc..).
Projet Montréal n’est pas contre
Cette vision du développement et de l’aménagement urbain, Projet Montréal n’est pas contre. Analyser son programme, cela saute aux yeux. Projet Montréal, contrairement à Denis Coderre, croient qu’on peut convaincre les promoteurs privés de céder un peu plus de leurs marges de profits pour par exemple : atténuer la « crise du logement » et de l’embourgeoisement dans les quartiers et/ou permettre aux familles « d’accéder » à de grands logements abordables, principale façon de stopper la fuite vers les banlieues. Une sécurité accrue des piétons et cyclistes dans la ville. De telles « politiques » sont déjà en application dans des arrondissements comme Le Plateau, le Sud-Ouest et Rosemont/la Petite patrie. Elles seront sans doute étendues plus largement et apporteraient un « baume » bienvenu sur la qualité de la vie urbaine dans les quartiers.
Mais, le capitalisme immobilier voudra-t-il collaborer de manière significative ? Voudra-t-il céder une partie de ses profits face à la concurrence du développement international qu’on dit féroce ? Si le pouvoir de l’argent se braque, Valérie et Projet Montréal seront bien seuls. Projet Montréal n’a pas de base militante active en dehors des élections. Tout repose sur la cinquantaine d’élu-e-s de Projet Montréal. On aurait tort de les blâmer, ils et elles sont déjà menottées s’il fallait qu’un rapport de force populaire soit nécessaire pour aller chercher des gains.
La gauche réformiste, celle qui ne jure que par le pouvoir étatique, ne devrait donc pas trop s’emballer quant aux retombées possibles. On peut même prédire qu’il n’y aura pas de changement de direction notable dans la gestion et le développement de Montréal et des quartiers. Mais tout de même, pour la gauche radicale l’élection de Projet Montréal a ouvert une fenêtre.
Une fenêtre ouverte
Des luttes très dures sont menées localement contre le capitalisme immobilier ici et là dans certains quartiers. L’élection de Projet Montréal a ouvert une fenêtre. Des candidats et candidates maintenant élu-e-s se sont engagé-e-s à appuyer des projets de groupes militants locaux qui vont à l’encontre de la logique du capitalisme immobilier et des élites d’affaires. Alors, la pire des attitudes pour ces militantes et militants serait de se « mettre en attente pour voir si les élu-e-s vont tenir leurs promesses ». Cette fenêtre ne restera pas ouverte très longtemps.
Par exemple, la lutte pour un projet de logement social dans la Malting à St-Henri a obtenu l’appui de l’arrondissement Sud-Ouest mais comme l’affirme le POPIR « Nous avons obtenu l’appui de l’arrondissement Le Sud-Ouest pour notre projet, mais sans la mise en réserve du site par la ville centre, nous restons coincés ». Le temps est compté. Trois jours après l’élection, le nouveau président du comité exécutif Benoit Dorais (maire de l’arrondissement Sud-Ouest) découvrait un trou de 358 millions$. Assez pour faire passer la Malting à la trappe ?
Bref, le message de la fenêtre ouverte pour les groupes en lutte contre le pouvoir de l’argent est une invitation pressante pour une accélération des pressions politiques sur le terrain. C’est une course contre la montre.
Dans Pointe-Saint-Charles, le Bâtiment 7 est en revendication. Benoit Dorais a même signé une lettre engageant la ville-centre a acheter le lot 5 pour permettre le développement du projet de Pôle alimentaire (PôA). Des militant-e-s anar sont même allez voter, juste pour dire qu’ils et elles ne voulaient pas voir le gang à Coderre » débarquer dans le quartier. Depuis toutes ces années où « on les a mis à notre main », une façon de parler pour dire qu’on sait de part et d’autre à quoi nous attendre et qu’on ne voulait pas recommencer le béa Ba de la lutte entreprise depuis bientôt 10 ans. Les militantes et militants ne vont pas lâcher le morceau.
Prioriser l’achat du lot 5 à Pointe-Saint-Charles et la réserve de terrain pour la Malting à Saint-Henri sont des choix politiques. Il n’y a aucune excuse économique qui vaille un recul. À nous ces victoires.
Ce message de lutte devrait être le même partout à Montréal. Profiter d’un « moment de grâce » pour aller chercher des victoires.