Extirpé des mains d’un grand propriétaire immobilier un immeuble industriel voué à la démolition, c’est déjà un exploit. L’obtenir gratuitement avec en plus une indemnisation financière de 1 million$ par un rapport de force basé sur une lutte sociale et politique montre que le 7ànous et ses militant-e-s ont largement évité le cheminement commun emprunté généralement par les mouvements sociaux dans ce genre d’enjeu (demande d’expropriation par l’État ou la Ville).
Ce faisant, même si le 7ànous a été astreint à des délais bureaucratiques venant d’intérêts privés et publics, la bataille menée par les forces militantes a su conserver tout au long la maîtrise et l’autonomie de sa lutte socio-politique dans un environnement démoralisateur. Non seulement le 7ànous a arraché des concessions au marché privé et au pouvoir politique, mais aucune compensation de fonds publics n’a été obtenue par le propriétaire, le groupe Mach, pour la perte de son bâtiment. À cet égard, il est bon de rappeler que sur ces mêmes terrains du CN, payés 1$ au total par le groupe Mach, celui-ci a obtenu un dédommagement d’environ 10 millions$ de la part de l’État (fonds publics) pour la partie récupéré par Québec suite à l’expropriation d’une partie du terrain.
D’une position de revendication à la construction des « ALTERNATIVES EN ACTES ».
Même si l’acte officiel de signature de la cession du B7 s’est réalisé le 28 avril 2017, le petit réseau militant autour du B7 fonctionnait stratégiquement depuis déjà 20 mois comme s’il était détenteur légitime du bâtiment. Projet intitulé Fabrique d’autonomie collective, cette image est un choix, une indication forte de la volonté du 7ànous et de ses alliés de sortir des sentiers battus autant dans ses agissements sociaux, politique (lutte parsemée d’actions directes et de négociations), qu’urbanistiques par, notamment, l’appropriation d’une partie de territoire privatisé. D’ailleurs, cette idée de lutte pour une appropriation du territoire, urbain et rural, est caractéristique des alternatives en actes à travers le monde. Nous reviendrons à une autre occasion sur cet enjeu.
Ainsi, avant même la cession définitive du B7, l’idée de Fabrique d’autonomie collective était déjà en mode implantation à travers la mise sur pied de plusieurs projets. Ces derniers sont actuellement en voie de réalisation telle l’épicerie autogérée, la micro-brasserie, le café/bar et des ateliers en tout genre (vélo, bois métal, mécanique, etc.). Disons que sortie de la phase principale de la revendication, le 7ànous a réussi sa période de transition et maintenant avec plus d’une centaine de militant-e-s et citoyens-nes impliqué-e-s, il a entamé énergiquement son périple actuel de construction d’un outil au bénéfice du « commun ». Et peut-être un peu plus, on verra, celui d’un éventuel jalon, un point de repère dans la construction d’une société alternative au sein de sa communauté locale, le quartier Pointe-Saint-Charles.
Cela veut dire que parallèlement à la mise en place de nombreux projets qui habiteront et feront vivre le B7 à partir du printemps 2018, il s’agit de définir et faire fonctionner la notion de collectivité. Tout ou presque est à expérimenter. La conception et la pratique d’une démocratie horizontale, la signification d’autonomie en rapport avec l’économie capitaliste dominante, son impact et son rôle face à l’embourgeoisement (gentrification) du quartier. Voilà quelques enjeux confrontant pour ceux et celles engagé-e-s dans le B7.
Il n’y a pas de réponse toute faite. Les questions abordées au sein du B7 sont nouvelles en bonne partie et les obstacles anticipés sont nombreux et complexes. Presque pas le temps de réfléchir tant l’aventure actuelle est parsemée de hasards et d’inattendus, tout ça mêlé aux incertitudes et contraintes bureaucratiques et technocratiques. Nous voilà bien dans le merveilleux monde d’une société où le marketing du « vivre ensemble » de « l’innovation » des économies sociales, circulaires, de partage et autres bébelles accrocheuses sont mis au service du positionnement de Montréal dans la concurrence internationale et de la croissance économique. Tout en gardant en trame de fond ces réalités de la mondialisation économique capitaliste, voyons quelque peu ce que cela signifie pour le 7ànous, les pieds bien à terre.
Les contraintes bureaucratiques, un visage réel du système politique et économique
Même en obtenant un bâtiment gratuit, des frais commencent déjà à s’accumuler (frais de notaire pour les papiers officiels, taxes municipales, assurances (même pour un bâtiment vide), etc.). Voilà le B7 dans l’engrenage du milieu de l’immobilier, de l’industrie de la construction et du financement public. Ces premières contraintes financières sont largement liées aux possibilités de subventions publiques que le 7ànous doit décrocher s’il veut rendre viables financièrement les projets prévus s’installer au B7. N’ayant pas les moyens financiers autonomes pour débourser les quelque 12 millions$ pour faire vivre le B7, le 7ànous se trouve de facto soumis à une mécanique de dépendance financière d’où découlent nombre d’exigences émises ici et là par des institutions privées et publiques. Bref, ce processus « normal », cette voie pour entrer dans la phase de développement du B7, elle est empreinte, on s’en doute, d’une philosophie de gestion. C’est celle de l’entreprise privée, des normes de concurrence et de la rentabilité capitaliste que l’État lui-même encourage.
Ce temps qui nous est volé
Ainsi, embaucher un entrepreneur général pour les travaux sur un marché concurrentiel, faire face aux rigidités des inspecteurs, se confronter aux interdits en tout genre (qu’on n’a pas le temps de contester) et devoir gérer les contraintes exacerbées par le facteur TEMPS (ex. : si telle avancée n’est pas réalisée à telle date, vous perdez votre subvention). Ce ne sont là que quelques composantes « normales » d’un système à la fois organisé et incohérent. La raison du plus fort domine. Chacun dans son coin a sa «chasse gardée » et tente de faire prévaloir ses prérogatives, ses intérêts, ses conceptions, son interprétation d’une règle, etc. Bref, tout ça l’air d’un bordel organisé d’où il faut éventuellement sortir. Le temps c’est de l’argent, vieux slogan du gouvernement Lesage des années 1960. Intimement lié à la rentabilité financière des uns et des autres l’utilisation et le rapport au TEMPS est une facette incontournable des pouvoirs dominants, une facette (la dictature de l’horloge) de cette course capitaliste au profit qui se répercute jusque dans les relations sociales. On compte désormais à la seconde, le temps pour soigner les malades afin de rentabiliser les actes médicaux (méthode Toyota). Bref, les institutions publiques et privées ont fait traîner en longueur, sur des années, la cession du bâtiment 7 au collectif 7ànous et désormais le 7ànous est plongé dans une course contre la montre pour s’arrimer sur le tas en vue d’un financement public déployé en fonction d’opportunités de développement de l’industrie culturelle ou touristique, d’échéanciers électoraux ou d’autres considérations de politique partisane.
Réaliser pleinement que la Fabrique d’autonomie collective affronte un système.
Comment dans de telles conditions s’approprier un processus où le temps doit être maîtrisé comme élément à la base de la réalisation de la Fabrique d’autonomie collective. Par exemple, l’idée du DIY (Do it yourself), le « faire soi-même » à travers les ressources bénévoles et militantes mobilisées par le B7), visant non seulement une diminution des coûts, mais également de la dépendance aux institutions et du temps pour maximiser les énergies militantes/bénévoles. On s’aperçoit que même autofinancé à 100% de manière autonome le projet du B7 ferait face à un déluge de contraintes bureaucratiques et technocratiques qui nous empêcherait à toute fin pratique le « faire soi-même).
En acceptant consciemment de « jouer le jeu » des contraintes du système, le 7ànous et ses allié-e-s n’ont pas nécessairement renoncé à la lutte pour l’autonomie collective. À court terme, cela permet au 7ànous de se placer sur « l’échiquier de l’industrie culturelle » montréalaise comme un incontournable dans le paysage de l’innovation sociale ou des « startups» à Montréal. Mais une pression insidieuse et loin d’être apparente rôde autour afin d’aiguiller le B7 dans le rang de la normalité c’est-à-dire pour devenir un modèle de référence dans le secteur de l’économie sociale (un secteur bien soutenu par l’État), plutôt que de le voir tâter le terrain dans le camp plus marginal d’une autonomie visant la sortie du capitalisme.
Bousculé par les événements et les contraintes liés au temps, l’espace consacré à la réflexion et aux stratégies pour définir et mettre en œuvre le processus et l’éventuel fonctionnement de la Fabrique d’autonomie collective reste en deçà des besoins. Malgré des marges de temps restreintes, des débats et des discussions ont lieu au sein du mouvement que regroupe le B7. Les rires et les moments de fêtes plus ou moins impromptus restent dans le décor et renouvellent les énergies. Des acquis du début se confirment. On fait, par exemple, consensus sur un fonctionnement démocratique horizontal tout en cherchant une forme de membership satisfaisant. Pour les uns et les unes, l’autonomie peut vouloir dire se donner des marges de manœuvre face aux institutions sans les remettre en cause, alors que pour d’autres il s’agit d’esquisser et d’entreprendre une sortie du capitalisme en imaginant des moyens (ex. : un système d’échange sans argent au sein du B7) et pensant à une « économie circulaire » (un concept à la mode) qui n’alimenterait plus la logique capitaliste, mais qui la briserait.
Cette phase de construction des alternatives en actes et d’une convergence interne qui s’organise, ces repères qui émergent sur le chemin, tout ça méritent d’être pensés comme une continuité de la lutte initiale d’obtention du B7. Le risque d’un oubli historique est de taille. C’est celui de croire que la lutte est terminée puisque le 7ànous a écarté de son chemin le groupe Mach et ainsi de se laisser enfumer par la logique capitaliste du système, une machine chaotique bien huilée dans ses incohérences, mais dont chacune et chacun impliquée autour du B7 peut en ressentir les effets négatifs tous les jours.
Faire de la Fabrique d’autonomie collective un projet et un lieu d’émancipation
L’objectif d’autonomie du B7 est aussi un projet social et politique. Radical ou non, cela dépend de la définition que les acteurs et les actrices du 7ànous entendent donner à l’idée d’autonomie. Le débat est en cours de multiples façons, formellement ou tacitement, entre les lignes. Mais c’est dans la pratique de construction d’un milieu de vie autonome (le B7 et son environnement immédiat) que le chemin de l’autonomie collective pourra se tracer.
Difficile voie à emprunter ? Sans aucun doute puisque la notion d’autonomie est étrangère à la pensée dominante qui a cours dans notre société. De manière imagée, on peut affirmer que le capitalisme est une guerre contre l’autonomie, contre la gratuité, contre la solidarité; des idées que le mouvement au sein du B7 tente de faire vivre. Cette lutte pour l’autonomie est bel et bien commencée. Aura-t-elle les reflets et les envies de briser d’avec la logique d’exploitation et de domination qui nous entoure ?
Cette histoire s’écrie maintenant, à SUIVRE …