En février dernier, le juge Richmond de la cour municipale de Montréal a relaxé 3 accusés sous le règlement P-6, article 2.1 (itinéraire non dévoilé à la police).
Le juge en a profité, geste d’une rareté absolue, pour dénoncer vertement les dirigeants policiers qui ont permis à des policiers de signer des contraventions sans avoir été témoins des événements, faute grave en principe dans un État de droit, mais qui ne sera sans doute pas sanctionné. (On voit ici le maire Coderre)
En juin prochain, une juge devrait statuer sur l’inconstitutionnalité de quelques articles du P-6 suite à un premier procès tenu en décembre 2014. Bref, nous atteignons les premiers moments de contestations judiciaires, suites aux « partys » que la police s’est offerts contre les manifestant-e-s depuis juin 2012.
Le règlement P-6, dans l’effervescence autour de la grève étudiante, semble avoir été écrit en toute hâte sur un coin de table en 2012 sous la gouverne de l’ex-maire Tremblay, évidemment « un grand démocrate », et visait à réduire le nombre de manifestations dans les rues de la Ville . Depuis, le P-6 bourré de raccourcis et de contradictions est attaqué en constitutionnalité (droit de manifester et de liberté d’expression) par plusieurs militant-e-s. D’ailleurs, une sorte de guérilla judiciaire s’est peu à peu développée sous le signe de la solidarité militante et a mené jusqu’ici à une dizaine de recours collectifs totalisant plus de 21 millions$ contre la Ville et sa police.
Profitant du P-6 qu’elle avait réclamé, la police de Montréal n’étant que trop heureuse de ce nouveau pouvoir n’a fait ni une ni deux et en a profité pour arrêter environ 3 000 personnes depuis juin 2012 et distribuée des contraventions salées bafouant au passage, avec mépris et ardeur le droit fondamental d’exprimer ses opinions politiques par des manifestations.
Les manifestantes et manifestants pris dans les souricières de la police ne se sont pas trompés sur le rôle politique de ces actions en scandant régulièrement le slogan « Police partout justice nulle part ». D’ailleurs, dans son bilan de 2014 la police elle-même confirme « par inadvertance » le fait que le P-6 lui a permis de cibler certaines manifestations. Ainsi, seules les manifs organisées par les milieux radicaux et anarchistes étaient dans la mire policière. Profilage politique? Évidemment, la police s’en défend comme elle se défendait, voilà encore moins de 10 ans, de profilage racial qu’elle a depuis admis du bout des lèvres.
Coderre forcé de se replier
Face à cette décision du juge Richmond d’acquitter 3 accusés, le maire de Montréal Denis Coderre a annoncé le 25 février dernier que la Ville retirait les accusations contre 3 000 personnes lors d’une vingtaine de manifestations depuis 2012. Sous ses airs de grand démocrate, Denis Coderre a dû l’avaler de travers. Il déclare qu’il s’agit d’un « problème d’interprétation technique » et un problème de preuve. Glorifié par les journaleux pour « son franc parlé », il évite cette fois-ci (les journaleux ne l’on pas remarqué), comme tout bon politicien, de relever le laxisme et les bavures de la police que vient justement de condamner le juge Richmond.
D’ailleurs, la muraille cartonnée du P-6 avait commencé à s’étioler. Faute de preuves, le procureur de la Ville avait déjà laissé tomber depuis quelques mois plus de 300 accusations. Pourtant, Coderre avait fait voter en octobre 2014 un budget supplémentaire de 110 000$ à une firme d’avocat privée (les avocats de la ville étant submergé par les contestations juridiques) pour défendre la constitutionnalité du règlement.
Perte sèche de fonds publics, car maintenant Coderre a l’air fou et vient de flairer qu’il pourrait avoir l’air encore plus fou si la ville persistait à vouloir faire condamner quelques milliers de personnes. Il tente donc de sauver la face et de minimiser la débâcle juridique en court en annonçant que la Ville n’ira pas en appel de la décision mettant fin à toutes les poursuites. Disons que c’est une douce revanche pour le milieu militant à Montréal.
Tentative d’enfumage
Commentant ce retrait de la Ville, le maire affirme que : « Cette décision va nous permettre de mieux faire appliquer le règlement P-6 à l’avenir. «Pour moi, il s’agit d’un bon règlement qui a été mis en place pour la sécurité des citoyens de l’espace public. » « Il n’y a pas de lien à faire entre la liberté d’expression et le fait d’avoir un itinéraire » (c’est nous qui soulignons). Ce genre de déclaration ne trompe que les médias de masse subjugués par son style populiste. Malheureusement, ces derniers sont en grand nombre.
Quand la liberté fait peur… titre Josée Legault chroniqueuse au Journal de Montréal écrivait ceci en mai 2014: « Le problème est que le fameux Règlement P6 de la Ville de Montréal sévit encore et toujours. Amendé par l’administration de Gérald Tremblay quelques heures après l’adoption de la loi spéciale du gouvernement Charest, il le fut dans le même but. Soit de restreindre la liberté de réunion pacifique ». Ceux et celles qui se battent pour la liberté d’expression savent que le P-6 a été voté comme un moyen pour « écœurer » les manifestant-e-s et les contraindrent de renoncer à manifester sur la place publique.
Coderre affiche une sorte de mépris rampant pour ceux et celles qui osent contester l’ordre établi. Incompréhension ou mauvaise foi ? Nous choisissons la 2e sans hésitation. Le maire Coderre s’inscrit dans le courant mondial des hypocrites politiques. Invoquer la sécurité à tout crin c’est électoralement vendeur par les temps qui courent et sert à museler la contestation. Lorsqu’on voit partout que se profile facilement sous le vocable sécurité, les lois liberticides et la criminalisation des mouvements sociaux les dominants politiques révèlent qu’ils ont peur et n’hésitent pas à bafouer ce qu’ils appellent eux-mêmes « l’État de droit ».
D’ailleurs, Coderre sous ses allures du « bon maire ouvert aux différences » suit avant tout le vent politique des sondages et appui, entre autres, et sans condition le C-51 du Fédéral qui pourrait criminaliser toute forme de contestation qui dérangerait les pouvoirs économique et politique dominants. Ce genre de considérations n’a pas empêché le maire de manifester dans la rue le 11 janvier 2015 « pour » la liberté d’expression dans la foulée du massacre de Charlie Hebdo. Chercher l’erreur.
Une occasion de lutter pour les forces de la liberté
Nous le savons, le maire Coderre fait diversion lorsque confronté à des opinions ou des situations qui risquent de miner son image, celle du bon gars qui travaille pour tout le monde. Il faut donc s’attendre, si les recours collectifs sont gagnés par les militantes et les militants qui poursuivent la Ville et sa police pour dommages moraux, physiques et psychologiques, que Coderre tente de dépolitiser les enjeux.
Il faut donc au plus tôt que les militant-e-s développent une campagne et une stratégie collective pour politiser au maximum les enjeux autour des recours collectifs afin de confronter le pouvoir politique. L’enjeu principal autour du P-6 c’est en fin de compte la lutte pour le droit de manifester, contre la criminalisation des mouvements sociaux par les dominants de la société capitaliste. Ce serait une erreur que l’action juridique ne porte que sur la « crédibilité » de l’État de droit alors qu’on vit de plus en plus dans une société autoritaire.
Profiter de cette bataille autour du P-6 pour accroître la solidarité militante, égratigner le « vernis démocratique » du maire et miner si possible la crédibilité de la police. Que voilà un beau programme.